RAVI Liège 2022

Artiste en résidence 

RAVI (Résidences Ateliers Vivegnis International), Liège, Belgique

juillet à septembre 2022

Journées Portes Ouvertes les 23, 24 et 25 septembre 

RAVI (Résidences Ateliers Vivegnis International)

 

 


Photo : Gerald Micheels, 2022

Que deviennent ces corps qui nous observent

 

Poursuivant son travail initié lors d’une première résidence en 2019, Caroline Boileau (CA, 1970) nous dévoile de nouveaux aspects de ses recherches plastiques. Son intérêt pour la représentation du corps féminin, observé au détour de découvertes scientifiques, sociales et artistiques, n’a pas perdu de son ampleur et continue d’animer les gestes plastiques et les pensées de l’artiste.

 

C’est avec son médium de prédilection, le dessin, que l’artiste choisit de partager cette exploration du corps de la femme. Un corps constamment soumis aux regards, que ceux-ci soient actuels ou plus anciens. Ce corps se métamorphose sous l’impulsion de Caroline Boileau. Il s’hybride et mue au contact de ses archives visuelles et textuelles. Il s’incarne dans de multiples rencontres entre dessins scientifiques précis et représentations médicales imagées, entre êtres mythologiques et portraits « réels », qui cohabitent et s’interpénètrent pour questionner notre perception.

 

Dans cet univers aux multiples temporalités, la grenouille rencontre régulièrement la femme. L’amphibien revêt une signification particulière quand on sait que cet être visqueux et à sang froid symbolise l’utérus de la femme dans les manuels de médecine du Moyen-Âge et de la Renaissance. L’animal est également cité dans le titre d’une oeuvre de Joseph Beuys, Gefleckte Frösche (Grenouilles tachetées, 1958). Les deux corps féminins, semblables à des pantins désarticulés, sans extrémités, interpellent l’artiste qui décide de s’en emparer et de les réparer d’une certaine manière. Ainsi, dans La revanche des grenouilles (what the fuck Beuys ?!), elle redonne corps et vie à ces femmes en leur insufflant l’agentivité perdue dans le dessin de Beuys.

 

Au-delà de la représentation du corps, c’est aussi sa réappropriation dans des moments particuliers de son existence qui intéresse Caroline Boileau. Ces langues que parlent les femmes évoque la maternité et la mutation à la fois physique et mentale qu’elle induit. La série puise son inspiration dans divers entretiens menés par l’artiste et dans la littérature médicale. Entre recherches d’hier et récits d’aujourd’hui, l’oeuvre reflète l’ambivalence de cette période vécue, heureuse et joyeuse certainement mais qui peut se révéler tout aussi violente à la lecture de certaines paroles. Trouvant un écho singulier dans ces portraits atemporels, cette ambivalence en se manifeste autant dans la recomposition de l’image que dans le jeu du trait, tantôt précis, tantôt flou, et dans le choix de la gamme chromatique.

 

Tout au long de ses oeuvres, Caroline Boileau observe, explore et revisite le corps féminin sous plusieurs aspects. Si les séries proposées semblent distinctes de prime abord, elles se répondent et dialoguent tant dans leurs propos que dans leurs approches. Il n’est d’ailleurs pas rare de détecter des correspondances entre elles. Comme si le corps, en constante mutation, conservait toujours des enracinements demeurés inchangés depuis des siècles. Si on frétille assez longtemps, on développe le corps dont on a besoin en est le parfait exemple. Mais, en reprenant le titre, peut-être qu’en frétillant, en mouvant, en fusionnant – comme tous les éléments avec lesquels l’artiste joue dans son oeuvre – on finit par se dégager de ces ancrages pour adopter l’enveloppe qui nous correspond.

 

Si la question du corps changeant est prépondérante, il existe, dans l’oeuvre de Caroline Boileau, une autre interrogation qui s’inscrit en filigrane, tout en étant probablement l’élément primordial de son oeuvre : celle du temps. Le temps qui se répond d’une époque à une autre avec toujours les mêmes attentes. Celui qui évolue mais dont la perception, de siècle en siècle, ne change pas. Celui – surtout – que les gestes de l’artiste étirent et plient et qui s’hybride en reliant hier et aujourd’hui, pour créer une nouvelle dimension dans l’espace même du papier.

 

Céline Eloy

 



Si on frétille assez longtemps, on développe le corps dont on a besoin, 2022


La revanche des grenouilles (What the Fuck, Beuys ?!), 2022


Ces langues que parlent les femmes, 2022

 

Photos : Gerald Micheels, 2022