Bourse de voyage Brucebo
Bourse de voyage et de recherche Brucebo 2017
Voyage réalisé durant le mois d’avril 2018
Pendant le mois d'avril, j’ai visité la collection anatomique de cire au musée La Specola à Florence en Italie, puis je me suis rendue dans l'Arctique et le nord de la Norvège pour visiter le mémorial des sorcières Steilneset à Vardø. Pendant les deux dernières semaines de mon périple, j’ai passé quelques jours à Stockholm à visiter des musées d’art et d’histoires, à faire de la recherche à la Bibliothèque royale. Sur l’île de Gotland pour la dernière semaine du voyage, j’ai travaillé sur des dessins, des vidéos et textes basés sur les lieux et collections visités durant le mois d’avril. Mes aquarelles et dessins ont été présentées à la galerie Brucebo durant l’été 2018.
Suite à la bourse de voyage Brucebo, je prépare un nouveau corpus de travail, un projet d’exposition rassemblant dessins, vidéos et performances que je présenterai à la Galerie de la Fondation Brucebo en 2019 et au Canada par la suite.
Lundi 2 avril. Midi. De la maison, métro jusqu’à la station Lionel-Groulx puis navette jusqu’à l’aéroport Trudeau.
16h50. Avion Florence via Zurich.
Mardi 3 avril. 7h05. Arrivée à Florence
Les vénus anatomiques
Depuis des années, je rêve d’explorer la collection de cires anatomiques du Musée La Specola à Florence, tout particulièrement les Vénus anatomiques dont le statut d’objet, entre séduction et répulsion, me fascine. La collection, qui regroupe presque 2000 objets et autant d’aquarelles, a été principalement réalisée par Clemente Susini, modeleur et anatomiste, dans les ateliers du musée au XVIIIe siècle. Aujourd’hui, la collection n’est accessible que par deux visites guidées quotidiennes. Je le savais bien avant d’arriver à Florence. Sur place, je décide de suivre toutes les visites durant la semaine et de réfléchir à une approche performative de ces déplacements à travers la collection et le temps : à quoi m’attarder à chacune des visites : objets de cire, aquarelles des objets, disposition des objets et des salles, commentaires historiques des guides, réactions des visiteurs (entre curiosité et effroi) ? Combien de visites seront nécessaires pour m’approprier complètement lieu et objets ? Comment capter lorsque dessiner n’est pas une option et que la photographie m’est toujours décevante ? Une fois la chose vue, qu’est-ce qui reste ?
À chaque jour, je dois attendre trois heures entre la première et la seconde visite des cires. C’est une mine d’or ici, un très vieux musée d’histoire naturelle, un musée hors du temps comme je les aime : il y a des lézards et des grenouilles improbables qui nagent dans les pots, des raies de toutes tailles, des oiseaux empaillés à faire frémir Hitchcock, des ossements humains. Je dessine pendant des heures des objets oubliés, à peine regardés par les quelques visiteurs qui passent trop vite. Je dessine intensément autre chose que la chose que je suis venue voir à tout prix. J’affine mon regard, j’essaie de l’ouvrir complètement pour ensuite accueillir la collection des cires. J espère me transformer en éponge pour m’imprégner jusqu’à l’os.
Durant la semaine, je retrouve avec plaisir le dôme de Brunelleschi, les jardins de Boboli et ses grottes fantasques, le Palazzo Pitti, le cloitre de San Marco et ses Fra Angelico, Santa Maria Novella, la maison de Dante ainsi qu’une une très vieille pharmacie transformée en parfumerie.
Dimanche 8 avril 18h25 – Florence-Amsterdam – nuitée à Amsterdam, Pays-Bas
Lundi 9 avril 10h50 – Amsterdam-Oslo
Lundi 9 avril 17h55 – Avion Oslo-Kirkenes – nuitée à Kirkenes, Norvège
Mardi 10 avril 11h45 – Avion Kirkenes-Vardo
Mardi 10 avril 15h – Arrivée à Vardo
The Possessed, The Damned, The Beloved
J’arrive à Vardø après plus de 40 heures de transit, une nuit passée dans un minuscule hôtel dans l’aéroport d’Amsterdam et une autre dans un hôtel pour travailleurs du port à Kirkenes en Norvège du nord. Interminable enfilade d’heures d’attentes, de postes de contrôles et d’avion de toutes tailles. Vardø est une petite île située dans la mer des Barents, au bout du monde. Je loge au dessus d’un restaurant à moins de dix minutes à pieds du mémorial de Steilneset, un bâtiment conçu par l’architecte Peter Zumtor qui comprend une installation de Louise Bourgeois, l’un des derniers projets de celle-ci. Ce mémorial a été érigé en 2011 en lien avec les procès pour sorcellerie qui ont eu lieu au Finnmark au XVIIe siècle. L’architecture de Zumthor ressemble à une longue larve blanche déposée sur le bord de la mer, structure de bois et de toile fortifiée de Teflon. L’architecture molle respire et siffle sous le vent puissant que nulle végétation n’arrête. À L’intérieur, un long corridor noir dont la surface des murs vibre sous la main. Seule la passerelle de bois qui permet de traverser l’espace d’un bout à l’autre est fixe. Le long des murs, de petites fenêtres sont percées dans la structure, une fenêtre pour chacune des 91 personnes qui ont été brûlées vives à Vardø au XVIIe siècle. Une ampoule électrique est suspendue à chaque fenêtre. Une pièce de tissus indiquant le nom de chaque personne exécutée est suspendue au mur : nom, accusation, confession sous la torture, dénonciation et peine. Une poésie concrète, minimaliste et tenace qui résume la complexité de ces vies en peu de mots. Efficacité scandinave. À l’autre extrémité du mémorial, l’installation de Louise Bourgeois est abritée dans un cube de verre noir dans lequel on entre par l’évocation d’une spirale. Une fois à l’intérieur, les vitres sans teint révèlent l’immensité du paysage et la force des éléments. Les vitres n’offrent qu’une protection minimale contre le vent et le froid. Au centre, une chaise en flamme est installée dans une fosse en béton. Tout autour, sept gigantesques miroirs déformants guettent la scène et renvoient la chaise, sa flamme et mon corps transformés. Je suis partout à la fois et je tiens tous les rôle : témoin, juge et victime ; Possédée, damnée et bien-aimée.
Sur place, j’essaie de dessiner dans le froid et le vent. Pour me garder au chaud quelques heures, je dois porter tous mes vêtements à la fois : superposer pantalons, chandails et manteaux ; protéger mon cou, mes oreilles et mes doigts. Je prends énormément de photos du temps qui change, de la structure en camouflage dans l’hiver, des jeux de reflets dans les vitres de l’installation de Bourgeois. J’écris aussi beaucoup sur place, debout, assise ou allongée. J’essaie d’absorber l’île tout entière car je doute de pouvoir revenir ici un jour.
Durant la semaine, je visite le Musée de la ville (ouvert spécialement pour moi et accompagné d’une longue visite privée de la collection et de l’histoire de la région), l’île de Hornøya qui abrite des centaines de milliers d’oiseaux marins, la forteresse de Vardø où ont eu lieux les procès pour sorcellerie. Je marche aussi de long en large et visite les deux parties de l’île dont la forme ressemble étrangement à deux poumons rassemblés en leur centre.
Mardi 17 avril 9h11 – Départ de Vardo pour Stockholm, Suède
Mardi 17 avril 15h55 – Arrivée à Stockholm, Suède
Bibliothèque et musées
Après une semaine passée sur une île de 2000 habitants au bout du monde, Stockholm me semble immense. Je suis invisible ici. Je prends plaisir à marcher longuement et m’étonne de la proximité de l’eau à différents endroits dans la ville. À l’aide du plan, je m’invente des itinéraires à pieds, en autobus et en métro pour en explorer le maximum en seulement quelques jours. Je débute le séjour par une recherche à la Bibliothèque royale où je peux parcourir des livres introuvables à Montréal. J’y vois aussi le Codex Gigas, la bible du diable, dans sa voute toute neuve.
Durant mon séjour, je visite : le Moderna Museet et, outre l’exposition temporaire, passe des heures à feuilleter les catalogues d’exposition ; le Tensta Konsthall dans le nord de la ville où je découvre une exposition de groupe étonnante alliant œuvres artisanales et de nouveaux médias - j’y passe une demi journée afin de tout voir ; la galerie Index ; la Thielska Galerieet m’enchante avec sa collection de tableaux de Munch et un dôme peint de créatures fantastiques ; au musée d’histoire, je découvre une installation vidéographique d’Esther Shalev-Gerz dans Gold Room du Musée d’histoire de Suède.
Samedi 21 avril, Bus de Stockholm à Nynashamn et traversier de Nynashamn à Visby
Ciels de feu
J’arrive à 23h30 à Visby. Tom m’attend à la sortie du bateau et m’amène à la maison de Sjalso, un ancien poulailler, l’espace de vie le plus ample de tout mon voyage. Une large pièce et une grande table de cuisine qui fera office d’atelier, une immense fenêtre qui donne sur la mer. Tout cet espace m’invite à dessiner, à sortir les aquarelles, à terminer les dessins débutés ailleurs et à entreprendre de travailler sur les choses vues et ressenties.
L’île de Gotland est magnifique. Je suis sans mots et sans voix. Je marche tous les jours dans la réserve naturelle de Brucebo, me balade à vélo, regarde la mer et cherche pendant des heures les roches typiques de l’île. La maison-musée de la fondation est une autre boite à trésors. La maison regorge d’objets, de tableaux, de fines aquarelles d’une autre Caroline qui aime aussi les grenouilles.
En discutant avec Tom de la présentation à faire - une performance car je voyage sans ordinateur et donc sans possibilité de faire une présentation à l’aide de photos – il me propose d’investir la petite galerie le temps d’une exposition de dessins. Dans cette ancienne grange, j’installe les dessins et aquarelles et y installe aussi mon cahier de croquis. La performance passe et l’exposition reste tout l’été.
Un taxi de la maison à Sjalsø jusqu’au port de Visby, traversier jusqu’à Nynashamn, autobus jusqu’au qu’au terminal de Stockholm, navette en train jusqu’à l’aéroport de Stockholm.
Lundi 30 avril 14h20 – Avion Stockholm-Reykjavik
Lundi 30 avril 17h20 – Avion Reykjavik-Montréal
De Montréal, je recopie mes cahiers de notes et constate l’ampleur de ce que j’ai vu et vécu. Le cumul des cahiers de voyage devient un texte qui pourrait peut-être devenir un projet de livre.