Le 13 mars. Début du confinement. La pandémie est maintenant ici. Tous mes projets sont tombés à l’eau en quelques heures. Tous les projets de l’année sur lesquels je travaillais déjà depuis plusieurs mois se sont volatilisés laissant un grand vide. Très tôt, j’ai décidé de ne pas essayer de remplir ce vide…mais de l’accueillir, de l’examiner et de le laisser passer. J’ai accepter d’accepter l’invisibilité : pas de posts intempestifs sur les réseaux sociaux, pas d’infolettre justifiant mon inaction, pas de tentative de faire comme si tout allait bien et de continuer ma vie comme si de rien n’était.
Je ressens plutôt une terrible envie de ralentir et de réfléchir, de retrouver ce qui me pousse à inventer des projets, à penser la pratique artistique comme essentielle à la vie. La question de la sociologue des sciences Isabelle Stengers tourne en boucle dans ma tête : What I am busy doing ? Qu’est-ce que je suis occupée à faire ?
M m’a envoyé ce texte de Paul Maheke qui m’atteint comme une étreinte et un coups de poing au ventre : L’année où j’ai arrêté de faire de l’art.
« L’année où j’ai arrêté de faire de l’art, j’ai juste arrêté. Je n’étais pas seulement ralenti·e dans ma progression, je n’ai pas pris un détour, j’ai juste arrêté. La vie ne m’a pas fait de coups durs, du moins pas plus que d’habitude. Ma vie entière était un coup dur.
Je n’avais plus de résistance. Plus une seule goutte de sang. Mon corps s’est effondré. C’était l’année où je ne pouvais plus tenir le coup. »
(…)
« C’était tellement banal que personne ne s’en est rendu compte. »
Les artistes sont toujours en récession, en crise. La pandémie ne change rien à tout ceci mais exacerbe, densifie l’insécurité qui, loin de se matérialiser dans un futur incertain, vient chambouler mon présent, la seule chose sur laquelle je pensais avoir prise.
Toutes ces semaines plus tard, j’ai fait les deuils qui s’imposaient, j’ai absorbé les chocs, j’ai accepté le niveau d’anxiété actuel comme étant ma nouvelle normalité. Je me suis demandée si 2020 serait l’année où j’allais arrêter de faire de l’art. Et puis non, peut-être l’année prochaine. On verra. Ça va aller.
J’aime et je déteste cette phrase. J’aime celle que les enfants copient maladroitement sur leurs dessins d’arc-en-ciel colorés collés aux fenêtres. Je déteste celle répétée ad nauseam par les politiciens qui ignorent tout de ma vie et de mes rêves. J’adore celle qui donne le titre et clôt le roman de Catherine Mavrikakis, un ça va aller comme une incantation maléfique, un espoir grinçant pour la suite. Un ça va aller qui comprend tous les doutes, les incertitudes, les angoisses passées, oubliées, inventées et à venir. Un ça va aller complètement lucide. Un doigt d’honneur levé bien haut. Un fuck you complètement assumé.
Mais il faut aussi parler de lumière, de magie et du feu qui couve.
Au très beau et très juste texte de Paul Maheke, lucide, dur mais bienveillant, j’ai envie de juxtaposer cette citation d’Hélène Cixous, tiré de Entre l’écriture :
« Folles : celles qui sont obligées de re-faire acte de naissance tous les jours. Je pense : rien ne m’est donné. Je ne suis pas née une fois pour toutes. Écrire, rêver, s’accoucher, être moi-même ma fille de chaque jour. Affirmation d’une force intérieure capable de regarder la vie sans mourir de peur, et surtout de se regarder soi-même, comme si tu étais à la fois l’autre, - indispensable à l’amour et rien de plus ni de rien que moi. »
J’aime l’idée de me re-choisir tous les jours, de re-choisir d’être une artiste, de me re-poser la question souvent. C’est une forme de liberté à laquelle je tiens mordicus.
(Extrait d’une conférence Zoom pour le cours de Marianne Cloutier à l’UQAM. Cours sur les effets du confinement sur les artistes)