Avaler de jolies roches. Une par une, les disposer affectueusement au fond de l’estomac. Lourd paysage qui ralentit la course folle des jours trop courts. Petit jardin minéral et roches dentues pour broyer les soucis.




Comment arriver?

Comment me déposer à l'endroit où je suis?

Comment étirer le temps ici?

Est-ce que simplement être ici est suffisant?

Comment arriver à tendre tendrement le temps?





Husk ! Snakk norsk!

 






 

 

Dernière journée ici. Liste des dernières choses à faire : marcher sur les plages et dans la forêt derrière la maison ; terminer les aquarelles des objets que je ne peux ramener avec moi (crabes, oursins, roches et algues) ; remplir mes poumons de l’air marin (faire le plein d’air en prévision du smog), mémoriser le dessin de la ligne des montagnes autour de l’île, faire le plein de cette lumière qui inonde tout, tout le temps.

 





 

Les pages du livres sont terminées, imprimées sur des pages d’un compendium pharmaceutique. Des petits livres où s’accumulent plusieurs couches de paysages : tableaux médicaux, lignes rappelant l’horizon ou la surface de l’eau et formes des objets ramassés durant mes marches au bord de la mer.

Durant une autre balade, en ville celle-là, j’ai trouvé un bouquin des années 70 sur l’art d’être femme…Les pages liées aux bonnes positions (sommeil et exercices) étaient toutes indiquées pour servir de couvertures à mes petits livres pharmatico-poétiques. Même les couleurs étaient justes. Ces trois livres, ensemble, ont quelque chose de performatif…

 





 

Le travail est intense à l’atelier. Je fais le deuil de ce que je croyais faire et je me concentre sur ce qui surgit. Je laisse aller. Le midi, j’essaie de sortir pour dîner, question de changer d’air. Le serveur m’apporte ma soupe et remarque mes mains encore tachées d’encre. Il ne dit rien. Takk. Takk. Takk.

Il y a beaucoup d’espace et de silence autour de moi cette semaine. La lumière entre de partout dans la maison et les aquarelle qui occupent tables, chaises et planchers sèchent rapidement. Les grandes flaques déposées sur le papier le soir sont déjà sèchent au petit matin. Je les étudie en sirotant mon café. Les dessins et les gravures me surprennent...c’est bon signe, je crois.

 





 

La liste des choses que je veux faire, des lieux que je veux visiter et des gens que je veux rencontrer s’allonge et je sens que je devrai choisir à défaut de pouvoir tout faire.

Je continue mes balades sur la plage de façon quotidienne. Je ne me lasse pas du paysage toujours changeant, des marées qui cachent ou révèlent roches, oursins, algues et coquillages. La plage est toujours déserte, je peux marcher des heures et ne croiser personne.

De l’autre côté de la maison il y a la forêt naine et les arbres tordus, je grimpe vers le haut de la colline. Tout en haut de l’île, le paysage est désertique et la vue à couper le souffle. Je ne me presse pas pour redescendre, la nuit n’existe plus.

Les dessins poussent à la maison et peu à peu occupent tout l’espace. À l’atelier de gravure, le rythme est plus lent et les papiers flottent sur la corde à linge en attendant la suite.

Plusieurs fois par jour, je dresse une liste un peu folle de tout ce que je souhaite terminer avant la fin du mois…une liste presque impossible, fabuleuse mais impossible.

 





 

Marcher 30 minutes pour sortir de l’île et aller prendre l’autobus qui m’amène à Tromso puis marcher encore quelques minutes pour me rendre à l’atelier. Un temps ample pour préparer ma journée de travail et refaire le monde. Chaque jour ici est autre : la lumière, le vent, l’opacité ou la transparence de l’air, la plage transformée par les marées, les montagnes qui se perdent dans l’horizon ou qui sont mangées par les nuages. Les dessins se couchent à l’horizontale comme les paysages, plutôt panoramas que portraits. Femmes-montagnes, roches-nuages et algues-viscères.