De retour à l’atelier après une pause montréalaise de quelques jours pour aider N et J. Étrangement, les dessins réalisés là-bas trouvent leur place ici, auprès des autres. Chercher la continuité malgré la distance. J’essaie de ne pas questionner la pertinence de ce que je ne peux m’empêcher de faire. 




Une journée pour le moins étrange…J’ai terminé un dessin et complètement gâché un autre qui attend sur la table. Peut-être demain le choc sera-t-il moins grand et la solution à portée de main. Pour l’instant, je laisse reposer.

 

Après plusieurs jours de recherche, j’ai réussi à trouver 20 mètres de papier aquarelle pour faire la grenouille géante. Toujours dans leurs boites, les rouleaux attendent un moment propice. Pas maintenant. Peur de gâcher autre chose aujourd’hui.

 

Le bruit du chantier de construction est assourdissant (plus que d’habitude ?!) et ma concentration aussi intermittente que la connexion internet. À part les deux premières heures d’atelier ce matin, cela aurait été une bonne journée pour rester au lit ou pour aller chasser la frite béarnaise.

 

Je viens de terminer Mues de Verena Stephan, écrivaine féministe, membre de Brot & Rosen. Le livre a été publié en 1977 et c’est fou comme les dernières pages du livre, dans lesquelles elle décrit ses difficiles conditions de création, n’ont pas tant changé. La création est encore et toujours un sport extrême.

 


« Il y a un passage où

J’ai condensé en quelques lignes pourquoi il faudrait des heures

Pour ne pas capter nos désirs

Mais les faire connaître

Pas pour vivre mais pour interrompre

Pendant quelques heures la survie. »

P.130



Photo : Yasmina Moslim, 2019

Test enthousiasmant pour la performance du 20 septembre sous l’œil attentif de Yasmina Moslim.

 

Ce matin je voyage à travers les images prises par Yasmina hier et je précise mes idées, la matérialité de cette chose qui doit passer de la 2 à la 3-D en moins d’une heure. Je mesure maintenant pleinement ce que cette performance me coûtera physiquement.




Je voyage entre l’histoire des objets qui m’intéressent, les romans et essais trouvés chez C et les nouvelles sur internet qui me troublent et m’affolent. J est à l’hôpital encore une fois et encore une fois il se bat de tout son corps. De ce côté-ci de l’océan, j’essaie de convoquer toutes les présences possibles et inimaginables pour les lui envoyer, les lui transfuser à distance. Je reste collée à mon téléphone rose espérant de bonnes nouvelles. Les dessins qui prennent forme ici sont un peu plus sauvages que d’habitude.

 

‘On peut remonter à travers les couches de ses actes jusqu’à la dernière feuille pour y trouver la bonne limace qui rampe »

Djuna Barnes, Le bois de la nuit, p.104

 

‘Les sages disent que le souvenir des choses passées est tout ce que nous avons pour avenir. »

Djuna Barnes, Le bois de la nuit, p.105

 

«Ce que je veux, c’est être libre ! »

Berthe Morisot





Étendre la peau d’une chose ou d’un corps. En faire un vaste territoire. Travailler en parallèle la matière, les écailles, la peau, les plumes, le mou et le dur. Travailler l’hybridation à même la peau, bien avant la formation du corps, latent. Voir ce que la peau propose à l’être à venir.

 


Et bien sûr, ne pas oublier de pratiquer des ouvertures dans cette peau. Pores, orifices et abysses pour atteindre l'envers. Du dessous, regarder sans être vu. Kairos.




Les choses se mettent en place à l’atelier. Un certain rythme s’installe malgré les grandes chaleurs de juillet et la canicule de la semaine dernière. Les dessins et autres objets de papier sont les fruits d’étranges aller-retour entre les musées de la ville et l’atelier. Je redessine ici ce que j’ai vu et aimé là-bas, de façon imparfaite, incomplète, fragmentaire. Rapidement, les dessins deviennent leur propre sujet loin de l’impulsion de départ. Je me questionne beaucoup sur mon regard de chouette, sur mes yeux qui voient mal. Qu’est-ce que je vois que les autres ne voient pas ? En retour, qu’est-ce qui est invisible pour moi ?

 

Sur les tables de l’atelier, des petits livres insolents et un plus grand, presque architectural, occupent tout l’espace : des insectes, des femmes, des grenouilles et autres sphinges… Au sol, une grande surface de papier peinte de 2m carré pour faire une grenouille en origami. À chaque semaine, j’agrandis le papier et change l’échelle. 

 






Retour à l’atelier ce matin. Impossible de télécharger les images prises dans le Musée de la vie Wallonne hier. Mon téléphone et mon ordinateur ne se parlent plus, le logiciel que j’utilisais pour contourner le problème a subi une mise à jour. Impossible d’accéder à mes images.  Il me faut repenser (encore une fois) ma façon de travailler avec des archives…prendre le strict minimum de photos et faire passer les images le plus rapidement possible à travers mon corps, les dessiner avant de les perdre dans la machine imparfaite.

 

Depuis la crise du matin, je travaille donc à transcrire-transformer les choses vues hier sur les pages des carnets de croquis. C’est mieux ainsi finalement. J’ai tout de suite mes images de référence sous les yeux et à portée de main. Je pousse même l’audace jusqu’à effacer les photos une fois les dessins terminés. Vertige !

 

Parmi les choses trouvées au Musée hier : des objets familiers servant à jeter des sorts ; machines anciennes pour regarder des images en trois dimensions - photos inoubliables de femmes trimant dur dans les mines...

 



 

Journée grise et chaude, lumière douce à l’atelier. La table est remplie de toutes sortes de choses. Il fait bon d’être ici.

Une longue journée d’atelier aujourd’hui avant le dimanche qui m’interdit le travail ici.

Plein de choses à faire, tout plein d’envie contradictoires. J’aimerais pouvoir tout faire en même temps.